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Seringhapatam: 4 mai 1799

Seringhapatam: 4 mai 1799

By Dr. Gabriel Vital-Durand

4 mai 1799 – Prise de la forteresse de Seringhapatam, capitale du sultanat du Mysore
(Deccan, Indes méridionales)

Ce jour-là…

The Sultan Tipoo le rajah Tippou Sultan   Le Tigre du Mysore

Lord Wellesley, gouverneur-général à Madras pour la Compagnie des Indes Orientales, avait résolu d’en finir avec l’ennemi juré des entreprises anglaises. Il prit prétexte des contacts noués avec la France du Directoire et envahit le sultanat du Mysore (aujourd’hui Karnataka ou Carnatic au sud du Deccan). Les forces de la Compagnie des Indes, leurs auxiliaires et suivants des deux sexes dépassaient 120’000 personnes. Les combattants, des cipayes (troupes indigènes) sous encadrement britannique pour l’essentiel, s’élevaient à plus de 40’000 hommes sous le commandement du général Sherbroke. Cette armée considérable investit l’île de Seringhapatam qui abritait la capitale du rajah Tippou, le Tigre du Mysore. Malgré son infériorité décisive, le rajah et ses fidèles se battirent comme des tigres, et Tippou Sahib tomba les armes à la main. On fit la fête à Madras et à Londres, et grise mine à Paris. Les Indes étaient désormais britanniques sans partage. Les Indes méridionales au XVIIIè siècle, théâtre des querelles entre compagnies commerciales.

Daria Daulat Bagh, le Palais d’été du sultan Tippou

Le jeune Tippou (1750-1799) était le fils aîné de Hayder Ali (1722-1782), un officier de cavalerie qui avait confisqué en 1761 le pouvoir à Seringhapatam. La capitale du Mysore dont il reste des ruines désignées aujourd’hui comme Srirangapatna ou Srirangapatnam était située sur une île au milieu d’un lac marécageux formé par le fleuve Cauvery (Kaveri). Les princes Wadijars qui régnaient jusque-là s’étaient déchargés sur une lignée de « maires du palais » – les Kalalé – de l’exercice du pouvoir. Cette même année vit le général-comte de Tollendal capituler à la tête de la garnison de Pondichéry devant les troupes anglaises, ce qui lui valut la cour martiale et l’exécution à son retour en France malgré les cris de Voltaire. Le traité de Paris (1763) allait bientôt consacrer la ruine des espoirs français dans la péninsule…

Temple du dieu Vichnou à Seringhapatam, aujourd’hui Srirangapatna

Le nouveau rajah – ou sultan – poursuivit ses conquêtes, étendant bientôt sa domination aux alentours pour s’assurer un débouché sur la côte orientale (Madras, Pondichéry). Ce conquérant avisé ne tarda pas à saisir l’occasion des dissensions européennes et dépêcha un envoyé à la cour de Louis XV dans les années suivantes. Quatre guerres successives eurent lieu contre les Anglais dans la deuxième moitié du siècle et les gazettes londoniennes prirent l’habitude de désigner le prince héritier Tippou comme “the terror of Leaden Street“, du nom du siège de la Compagnie des Indes Orientales.

La diplomatie britannique s’employait elle-aussi à rassembler les ennemis traditionnels du sultan, les Marathas et le Nizzam-ul-Muk, seigneur d’Hyderabad, les premiers de religion hindoue traditionnellement hostiles aux musulmans. Elle utilisait les mêmes moyens qu’en Europe – livraison d’or et garanties sur les dépouilles de l’ennemi, exploitation des antagonismes religieux et ethniques, tout en exposant les troupes de ses alliés (les cipayes) plutôt que les redcoats, les soldats de sa majesté. Le sultan avait mis toute sa confiance dans son fils Tippou qui ne tarda pas à révéler ses capacités en menant un raid foudroyant sur Madras en septembre 1767. Le gouverneur et sa suite ne durent leur salut qu’à la fuite sur une frégate qui se trouvait à quai par hasard. On n’appelait plus le jeune prince que “le Tigre du Mysore“, ce qui convenait parfaitement à ce héros qui adopta dès lors l’image et les dépouilles du tigre comme caractères distinctifs. Tippou faisait preuve d’un sens politique aigu et n’hésitait pas à mener une guerre psychologique contre ses ennemis jurés de la Compagnie des Indes. S’il n’avait qu’une instruction modeste, il sut choisir des conseillers avisés et s’entourer d’experts militaires étrangers, singulièrement français, pour faire pièce aux moyens considérables déployés par ses adversaires. Son armée comptait ainsi un détachement d’artillerie, un corps de sapeurs et une escouade d’éléphants.

Un souverain éclairé dans les Indes

En septembre 1780, le colonel Baillie se laissa surprendre à son tour à la tête d’une armée de 4’000 hommes qui fut taillée en pièces près de Polilur. Il fut lui-même fait prisonnier. Le prestige des coloniaux était au plus bas. Le 8 février 1782, Tippou réussit un nouveau coup d’éclat en écrasant le colonel Braithwaite à Annagudi, avant d’être intronisé sultan à la mort de son père en 1783. Le traité de Mangalore (1784) qui conclut la 2è guerre du Mysore consacra le triomphe du rajah sur la Compagnie des Indes en pleine déconfiture. Le sultanat s’était ainsi assuré le contrôle du Karnataka et du Kérala, avec débouchés au Levant et au Ponant, garantissant une communication directe avec le Moyen-Orient musulman. Tippou qui reconnaissait encore la suzeraineté nominale des souverains moghols de Dehli était devenu en fait parfaitement indépendant et fabuleusement riche. Le sultan que l’on connaissait à Paris sous le nom de Tippou Sahib portait les titres de Rajah, Bahadur et Fateh Ali Tippou. Le Deccan (Indes méridionales) aujourd’hui plutôt déshérité produisait alors épices, or, ivoire, bois précieux et thé dont le marché n’était pas encore très étendu en Occident.

Palais du sultan Tippou à Bengalore

Tippou avait un sens politique aiguisé et s’efforçait de gagner des alliés à sa cause, au Punjab, en Afghanistan, à Istanbul où il rencontrait des sympathies religieuses, sans oublier Paris où le roi reçut son ambassadeur en grande pompe le 3 août 1788. Le comte de la Luzerne, alors ministre, n’avait plus les moyens d’une grande politique d’outre-mer après l’aventure américaine, et le corps expéditionnaire français s’était retiré sur l’Ile de France (aujourd’hui Réunion). Au milieu de la tempête révolutionnaire, la Convention fit son possible pour maintenir le contact et dépêcha même un détachement militaire mené par le commandant Dompart, auquel le sultan fit le meilleur accueil. Saisissant le vent de l’époque, Tippou se prêta en outre à la constitution à Seringhapatam d’un Club des Jacobins présidé par le citoyen Ripaud, se désignant lui-même comme “citoyen Tippou” au sein de cette digne assemblée… Le tsar Paul Ier rêva un moment d’envoyer des renforts aux Indes et Bonaparte entretint lui-aussi une correspondance avec le sultan, caressant l’espoir de rejoindre les Indes par la Perse avec son armée d’Egypte…

La propagande britannique présentait le rajah comme un tyran sanguinaire. Des témoignages dignes de foi suggèrent au contraire qu’il était un souverain éclairé dans le contexte local. Un projet de traité avec le gouvernement du Directoire stipulait par exemple

je propose que les sujets anglais ou portugais des deux sexes tombés aux mains des troupes républicaines ou bien des miennes soient traités avec humanité et placés à frais communs sur des vaisseaux à destination de lieux convenablement éloignés.”

La troisième guerre du Mysore tourne à l’avantage des Anglais

Représentation de l’armée du sultan Tippoo

La troisième guerre du Mysore éclata en 1790 après que le rajah eût envahi Travancore au Kérala, menaçant le maharadja Rama Varma qui accordait sa protection aux chrétiens syriens des comptoirs de commerce, et avait la confiance des Britanniques. Le général Cornwallis qui avait dû rendre ses armes au général Washington à Yorktown en présence de Rochambeau et Lafayette (1781) était devenu gouverneur des Indes Orientales. Il saisit alors l’occasion de venger son humiliation aux dépens de ces sauvages et exigea les moyens nécessaires pour mener une campagne décisive contre le sultan. Pitt le Jeune dirigeait à Londres le cabinet ; il accueillit la requête avec faveur et dépêcha des renforts et des canons. Cornwallis se porta lui-même à la tête du corps expéditionnaire et pourchassa le sultan jusqu’à Seringhapatam, lui imposant le traité humiliant de Udin (23 février 1792) qui livrait les deux princes héritiers en otage et imposait une lourde indemnité aux vaincus.

En 1798, le rajah s’était acquitté de l’indemnité et avait récupéré ses otages, mais l’Angleterre de Pitt était déterminée à en finir et son allié le Nizzam impatient de partager les dépouilles du Mysore. Lord Mornington, frère aîné du futur duc de Welllington, fut nommé gouverneur-général en 1797. Il saisit l’occasion des contacts noués avec la France pour engager la quatrième guerre du Mysore. Apprenant qu’un parti venu de l’Ile de France avait débarqué à Mangalore en avril 1798, il exigea des explications. Tippou répondit dédaigneusement que “40 personnes, sujets français à la peau foncée, parmi lesquels 10 ou 12 artificiers, s’étaient acquittés du prix de la traversée en vue de trouver au Mysore une situation à leur convenance”. Le gouverneur goûta fort mal la plaisanterie…

Instruits par l’expérience, les Britanniques ne prirent aucun risque et rassemblèrent des forces démesurées. Le général Sherbroke parti de Madras disposait de 4’000 hommes d’infanterie britannique, essentiellement des Ecossais, appuyés par quelque 16’000 cipayes. Il traînait derrière lui des forces de siège imposantes et une suite de porteurs et auxiliaires divers s’élevant à plus de 50’000 hommes… et femmes. Le Nizzam-il-Muk le rejoignit en provenance d’Hyderabad avec une nuée de guerriers et leur suite, plus de 10’000 cavaliers sous commandement britannique, l’ensemble accompagné (et contrôlé autant que possible) par le 33è régiment d’infanterie. Celui-ci était placé sous le commandement du jeune colonel Arthur Wellesley, frère du gouverneur, lui-même appelé à une haute destinée. Un troisième corps de troupes venues de Bombay avait été rassemblé à Cannanore sur la côte occidentale sous le commandement du général Stuart, soit 6’400 fantassins. Le 5 mars, le rajah surgit des dunes à la tête de ses troupes et fondit sur l’armée de Bombay à Seedaseer près de Periapatam. Les combats durèrent plusieurs heures avant que les Indiens ne battent en retraite, laissant 1’500 hommes sur le terrain…

L’expédition punitive

Le 27 mars, Tippou engagea l’autre armée venue de Madras près de Mallavelli, comptant sur l’effet de surprise pour compenser son infériorité numérique. Les Britanniques mirent un millier de guerriers hors de combat. Loin de céder au découragement, le rajah poursuivait le combat sur tous les fronts, s’efforçant de surprendre chaque corps de troupes séparément. En outre, il pratiquait la tactique de la terre brûlée, privant ainsi les bœufs d’attelage du train de leur ravitaillement en fourrage…

Le 5 avril, l’avant-garde britannique atteignit les berges du fleuve Cauvery en vue de mettre le siège devant Siringhapatam. Il fallait faire vite désormais car la mousson en faisant monter les eaux rendrait l’approche impraticable. Le terrassement commença et les escarmouches devinrent quotidiennes. L’artillerie lourde fut bientôt à pied d’œuvre et pilonna les murailles. Le 3 mai, une brêche fut ouverte et l’assaut prévu pour le lendemain.

Chien de canon de Tippou (décoré de l’image du tigre, son emblême)

Vue contemporaine des remparts de Seringhapatam (côté occidental à proximité de la brêche)
Tigre dévorant un soldat anglais – figurine animée en bois trouvée dans les dépouilles de Seringhapatam
(Victoria & Albert Museum)
Croquis de Siringhapatam en 1799 (vue orientale)

 

Une fin courageuse

Mausolée de Tippou à Gumbaz

Le major-général Baird, un officier écossais qui avait eu la mauvaise fortune de passer plusieurs années aux mains de Tippou, en avait gardé une haine féroce et se porta volontaire pour commander l’assaut. On désigna les 73è et 74è régiments d’infanterie pour en être le fer de lance, appuyés par des cipayes et des éléments d’artiIlerie. Le général Baird choisit l’heure de la sieste, une heure et demi du soir, pour l’attaque. Au cri de “Up my brave lads and show the world you are worthy of the title of British soldiers !” (Allez les braves, à vous de montrer que vous avez mérité le titre de soldats britanniques !), il entraîna deux colonnes d’assaut dans la brêche. Les Mysorains se défendirent avec l’énergie du désespoir, et les combats durèrent jusqu’au soir. La tête de Tippou avait été mise à prix et l’on redoutait déjà qu’il n’eût réussi à s’échapper. Mais son corps fut découvert aux abords du fleuve dans la soirée.

Toujours amateurs de décorum, les Anglais lui firent des funérailles grandioses le lendemain près du mausolée de son père. Les assaillants firent un butin considérable (trésors, diamants, et aussi un tigre mécanique que l’on peut encore voir au Musée Victoria & Albert de Londres). Le général Harris reçut le huitième de la prise totale pour avoir découvert le corps de Tippou, soit 150’000 livres-or. Le gouverneur Lord Richard fut élevé au rang de marquis de Wellesley. Le Mysore fut dépecé entre ses voisins et la Compagnie des Indes put mener sans plus d’entrave son jeu d’intrigues et son commerce lucratif, débarrassée désormais des concurrents portugais, hollandais et français… Le gouverneur et son frère poursuivirent une politique d’intervention active dans les querelles des maharadjas, échangeant la protection britannique contre le service de contingents indigènes et le paiement de généreuses indemnités (subsidiary alliances policy).

Vue de la bataille prise du camp britannique

 

 

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